Dimanche, 09-10-22

9. Dim – Vr – VINGT-HUITIEME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE - G, C, Préf. dominicale - 1ère lecture : 2 R 5, 14-17 ; Ps 98 (97), 1, 2-3ab, 3cd-4 ; 2ème lecture : 2 Tm 2, 8-13 ; Évangile : Lc 17, 11-19. Homélie donnée par Père jean Bosco NSENGIMANA MIHIGO, msscc.

PREMIÈRE LECTURE : LECTURE DU DEUXIEME LIVRE DES ROIS (2 R 5, 14-17)

Naaman, un étranger reconnaissant. Venu demander au prophète Elisée de le guérir de sa lèpre au nom du Dieu d’Israël, lorsqu’il fut guéri, plein de gratitude, il promit d’honorer le Dieu d’Israël : « Désormais, je le sais : il n’y a pas d’autre Dieu, sur toute la terre, que celui d’Israël ! »
En ces jours-là, le général syrien Naaman, qui était lépreux, descendit jusqu’au Jourdain et s’y plongea sept fois, pour obéir à la parole d’Élisée, l’homme de Dieu ; alors sa chair redevint semblable à celle d’un petit enfant : il était purifié ! Il retourna chez l’homme de Dieu avec toute son escorte ; il entra, se présenta devant lui et déclara : « Désormais, je le sais : il n’y a pas d’autre Dieu, sur toute la terre, que celui d’Israël ! Je t’en prie, accepte un présent de ton serviteur. » Mais Élisée répondit : « Par la vie du Seigneur que je sers, je n’accepterai rien. » Naaman le pressa d’accepter, mais il refusa. Naaman dit alors : « Puisque c’est ainsi, permets que ton serviteur emporte de la terre de ce pays autant que deux mulets peuvent en transporter, car je ne veux plus offrir ni holocauste ni sacrifice à d’autres dieux qu’au Seigneur Dieu d’Israël. »
Parole du Seigneur.

PSAUME RESPONSORIAL (Ps 97 (98), 1, 2-3ab, 3cd-4)

R/ Le Seigneur a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations. (Ps 97, 2)

Chantez au Seigneur un chant nouveau, car il a fait des merveilles ; par son bras très saint, par sa main puissante, il s’est assuré la victoire. R/

Le Seigneur a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations ; il s’est rappelé sa fidélité, son amour, en faveur de la maison d’Israël. R/

La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu. Acclamez le Seigneur, terre entière, sonnez, chantez, jouez ! R/

DEUXIÈME LECTURE : LECTURE DE LA DEUXIEME LETTRE DE SAINT PAUL APOTRE à TIMOTHEE (2 Tm 2, 8-13).

« Souvenez-vous de Jésus-Christ ! » Le plus grand cadeau que Dieu nous a fait est sans nul doute Jésus-Christ. Il résume tous les cadeaux. La gratitude nous incite à lui être fidèle et à vivre sa vie. A prolonger sa mission !

Bien-aimé,
Souviens-toi de Jésus Christ, ressuscité d’entre les morts, le descendant de David : voilà mon évangile. C’est pour lui que j’endure la souffrance, jusqu’à être enchaîné comme un malfaiteur. Mais on n’enchaîne pas la parole de Dieu ! C’est pourquoi je supporte tout pour ceux que Dieu a choisis, afin qu’ils obtiennent, eux aussi, le salut qui est dans le Christ Jésus, avec la gloire éternelle.
Voici une parole digne de foi : Si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons. Si nous supportons l’épreuve, avec lui nous régnerons. Si nous le rejetons, lui aussi nous rejettera. Si nous manquons de foi, lui reste fidèle à sa parole, car il ne peut se rejeter lui-même.
Parole du Seigneur.

ACCLAMATION DE L’ÉVANGILE

Alléluia. Alléluia. Rendez grâce à Dieu en toute circonstance : c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus. Alléluia. (1 Th 5, 18). Alléluia. Alléluia.

L’ÉVANGILE : ÉVANGILE DE JESUS CHRIST SELON SAINT LUC (LC 17, 11-19)

Jésus a guéri dix lépreux, simplement parce qu’ils ont cru en lui. Mais un seul est revenu pour le remercier. C’était un Samaritain. Seul un étranger est revenu « sur ses pas et rendre gloire à Dieu ! »

En ce temps-là, Jésus, marchant vers Jérusalem, traversait la région située entre la Samarie et la Galilée. Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s’arrêtèrent à distance et lui crièrent : « Jésus, maître, prends pitié de nous. » À cette vue, Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres. » En cours de route, ils furent purifiés. L’un d’eux, voyant qu’il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix. Il se jeta face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. Or, c’était un Samaritain. Alors Jésus prit la parole en disant : « Tous les dix n’ont-ils pas été purifiés ? Les neuf autres, où sont-ils ? Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu ! » Jésus lui dit : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé. »
Acclamons la Parole de Dieu.

COMMENTAIRE ET MEDITATION

Nous apprécions beaucoup les personnes reconnaissantes. C’est-à-dire que nous admettons agréablement qu’un « bienfait n’est jamais tortu. » Au contraire, l’ingratitude provoque en nous de la colère, de l’indignation et des regrets. Aussi n’est-il pas rare que nous considérons l’attitude des personnes ingrates comme une trahison à l’humanité ! Selon Miguel de Cervantes « L’ingratitude est la fille de l’orgueil. » De sa part, Max Lucado pense que « L’homme orgueilleux est rarement une personne reconnaissante car il ne croit jamais avoir reçu autant qu’il le mérite. » Tandis que de son côté, Paulo Coelho, dit que « Personne ne va très loin surtout lorsqu’il oublie ceux qui étaient à ses côtés quand il avait besoin d’eux. » Mais alors, les lectures de ce dimanche nous rappelleraient ce dit François-Joseph Amon d’Aby, là où il déclare que « Le bienfait a pour salaire la reconnaissance. Malheur à celui qui rend le mal pour le bien qu’il a reçu ? »

La leçon de vingt-huitième dimanche va au de-là de la reconnaissance des biens-faits et de la malheureuse ingratitude. Effectivement, la bible nous enseigne que l’ingratitude est un péché qui a de graves répercussions sur nos relations personnelles et interpersonnelles. Par exemple, dès le début, la Lettre aux Romains donne une description détaillée de la chute d’une personne ou d’une société ingrate (Rom 1,18-32). D’après saint Paul, l’ingratitude figure aux côtés de l’idolâtrie, de l’homosexualité et de toutes autres sortes de rébellions contre l’ordre divin. Aux versets 21 et 22, nous lisons que les prétentieux et arrogants montrent leur folie en oubliant de rendre grâce à Dieu. L’apôtre de gentils écrit : « Puisque, ayant connu Dieu, ils ne lui ont pas rendu comme à un Dieu gloire ou actions de grâces, mais ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements et leur cœur inintelligent s’est enténébré : dans leur prétention à la sagesse, ils sont devenus fous. » (Rom 1, 21-22).

Ce qui précède nous indique que Dieu prend au sérieux la gratitude. L’ingratitude, quant à elle, nous nous rendons compte qu’elle réprouvable. Tant qu’une personne ou une culture reste reconnaissante envers Dieu, elle conserve une sensibilité d’action de grâce. La gratitude envers Dieu requiert au moins la foi en Dieu. L’ingratitude nous éloigne de notre responsabilité de le reconnaître que tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons vienne de Dieu (Prov. 3, 5-6 ; Ps 100, 4). Lorsque nous refusons d’être reconnaissants ou nous nous abstenons d’exprimer notre gratitude, nous devenons durs de cœur et orgueilleux. Nous prenons pour acquis tout ce que Dieu nous a donné et nous devenons nos propres dieux. N’est-pas que la « personnnatrie » semble devenir de plus en plus comme le péché de la postmodernité ? Pourquoi parfois, nous oublions facilement d’être nous-mêmes reconnaissants ? Qu’est-ce qui cause que nous ignorons que nous devons tout ce que nous sommes et nous avons de Dieu ? Est-ce que nous pensons sincèrement que nous soyons, nous-mêmes, des auteurs de notre vie, des soutiens de notre existence, de garants de nos réussites ? Avons-nous des yeux pour voir les merveilles de la nature et son surprenant ordre ? Possédons-nous des oreilles pour entendre les chants de la création ? N’avons-nous pas devant nous tant de beauté et tant de bonnes personnes à chérir et à aimer ? Comment pouvons affirmer que nous sommes chrétiens en oubliant que Dieu, lui-même en Jésus, soit approché de nous et soit devenu l’un parmi ? Pourquoi nous n’arrivons pas à aimer le Seigneur, notre Dieu, de tout notre cœur, de toute notre âme, et de toute notre pensée (Mt 22, 37) ? En réponse aux lectures de ce jour qui nous exhortent à la gratitude, ne devrions-nous pas crier à pleins poumons pour rendre grâce et pour le louer, en reconnaissant les biens-faits que nous recevons de lui ? Accepterions-nous de mettre en pratique ce que nous apprécions chez les personnes reconnaissantes ?
A travers la méditation et le commentaire de ce dimanche, d’abord, nous nous proposons de développer un commentaire traditionnel. Puis nous pensons élargir la compréhension des merveilleux textes de la liturgie en développant une réflexion critique et une méditation théologique actualisée et contextualisée.
Les commentaires traditionnels développeront, sans doute, qu’entre les Samaritains et les Juifs existaient une inimitié, une forte rivalité ! Ces habitants du centre et du sud d’Israël conservaient une haine qui il remonte à l’an 721 avant J.-C. En effet, comme le raconte le deuxième livre des Rois (ch. 17), lorsque l’empereur Sargon II prit militairement la ville de Samarie et déporta la main-d’œuvre qualifiée en Assyrie, il a peuplé la région conquise de colons assyriens. Au fil du temps, ils ont uni leur sang à celui de la population de Samarie. Par conséquent, cette union a donné naissance à une race mixte qui, naturellement, a également mélangé les croyances. Ce syncrétisme des samaritains irrite les juifs. Cela constituera une des explications que les commentateurs donnaient pour justifier la xénophobie et la discrimination des Juifs en vers les Samaritains. Jusqu’à ce que la Mishna ou Mishnah arrive à dire que « Celui qui mange du pain avec un Samaritain est comme celui qui mange du porc. » (Shab 8.10). Ce qui signifie que si le premier grand recueil écrit des traditions orales juives connues sous le nom de Torah orale, comparer le peuple de Samarie a un animal méprisé, dédaigneux et impurs. La première œuvre majeure de la littérature rabbinique consacre une discrimination régionale au nom de la religion et de Dieu.
À l’époque de Jésus, ces relations Juifs et Samaritains ont connu une dureté particulière. Car, comme le rapporte l’historien Flavius Josèphe, dans son ouvrage Antiquités juives (18, 29s.) ; en plus des différents que nous avons relatés précédemment, sous le procurateur Coponius (6-9 av. J.-C.), le Temple et le sanctuaire ont été profanés pendant la nuit en dispersant des ossements humains à ses alentours. C’est ainsi qu’une haine irréconciliable qui régnait entre les deux groupes s’est aggravée. Tout aurait commencé, plus ou moins au IVe siècle av. J.-C. Les samaritain s’étaient séparés de la communauté juive et avaient construit leur propre temple sur le mont Garitzin. Vers le IIe siècle avant J.-C., le livre du Siracide dit : "Je hais deux nations, et la troisième n’est pas un peuple : les habitants de Séir et de Philistie, et le peuple insensé qui habite Sichem (Samarie)". (50, 25-26) Le mot "Samaritain" était une grave insulte dans la bouche d’un Juif. Selon, les chefs dirent à Jésus, sous forme d’insulte : "N’avons-nous pas raison de dire que tu es un Samaritain et que tu es fou ? (Jn 8,48).
Telle était donc la situation entre Juifs et samaritains à l’époque de Jésus ! C’est dans ce contexte historique que se déroule la scène de l’Évangile que nous propose la liturgie de ce vingt-huitième dimanche. L’histoire des lépreux qui véhicule le message d’aujourd’hui mérite également d’être contextualisée. En effet, les lépreux vivaient en dehors des villes. Au cas où ils arrivaient à se rencontrer à l’intérieur de la cité, ils résidaient dans des quartiers isolés du reste de la population. Ne pouvant entrer en contact avec elle, ni assister aux cérémonies religieuses, ils étaient écartés totalement de la vie sociale et religieuse. Le livre du Lévitique prescrit leur comportement en ces termes : « Celui qui a été déclaré malade d’une maladie de la peau se promènera en haillons, les cheveux ébouriffés, la barbe couverte, et criera : ‘Impur, impur !’ Aussi longtemps que durera la maladie, il restera impur. Il vivra à part et aura sa demeure en dehors du camp. » (Lv 13, 45-46). Le concept de la lèpre dans la Bible est donc très éloigné de la signification médicale moderne de ce mot. Aujourd’hui, dans de nombreux cas et dans la plus part des lieux. Il s’agit d’une maladie de peau. Il est guérissable.
La guérison des dix lépreux que Jésus opère est un exemple de la valeur que Dieu, lui-même, accorde à la gratitude (Luc 17, 12-19). Jésus a guéri les dix hommes atteint par la lèpre, mais un seul est revenu pour le remercier (verset 15). Celui qui est reconnaissant n’était même pas un Juif. C’est un Samaritain. Ce fait conduit à l’idée que les Juifs n’étaient pas les seuls à pouvoir atteindre le cœur de Dieu. Le Seigneur, à la fine de l’évangile remarque que ceux qui sont reconnaissants, quel que soit leur statut socio-politique ou leur niveau de spiritualité, eux sont citoyens du royaume. La question les "Dix n’ont-ils pas été purifiés ? Où sont les neuf autres ?" (Verset 17) montre la déception de Jésus, face à l’ingratitude de la majorité.
L’évangéliste nous informe que lorsque Jésus vit les dix lépreux, il les a envoyés avec l’ordre de se présenter aux prêtres. La fonction de ces derniers, entre autres, était en principe de diagnostiquer certaines maladies qui, étant contagieuses, exigeaient que le malade se retire pour un temps de la vie publique. Puis une fois guéri, il devait se présenter au prêtre pour qu’il lui remette une sorte de certificat de guérison. C’est ce document qui permettait à la personne atteinte de la lèpre de réintégrer la société. Néanmoins le récit évangélique ne s’arrête pas à la guérison des dix lépreux. Il note que l’un d’entre eux, un Samaritain, lui seul, revient vers Jésus pour lui présentait ses remerciements et sa gratitudes.
Quelque chose de similaire s’était déjà produit dans l’épisode du livre des Rois que nous lisons ce dimanche. Dans la première lecture Naaman, un général de l’armée du roi de Syrie, souffrait d’une maladie de la peau. Il s’est rendit chez le prophète de Samarie, Elisée pour être guéri de sa maladie. Élisée, au lieu de le recevoir, il lui dit d’aller se baigner sept fois dans le Jourdain avec la promesse qu’il sera purifié. Naaman, bien que mécontent de ne pas être reçu par le prophète, fit ce qu’on lui demanda et fut purifié. Lorsqu’il fut purifié, bien qu’il n’appartienne pas au peuple juif, il se tourna vers le prophète pour lui faire un cadeau. Le prophète refuse carrément. Mais l’étranger reconnaissant, emporte la terre du pays de Dieu d’Israël comme reconnaissance du vrai Dieu. Lui, seul est capable de donner la vie. C’est ce Dieu qui a travers l’évangile se manifeste en Jésus comme celui qui est toujours fidèle malgré l’infidélité des hommes.

Ce qui est arrivé au lépreux dans l’évangile serait très perturbant pour les Juifs pieux. Sur les dix lépreux, neuf étaient des Juifs et, un seul, était Samaritain ! Quand ce dernier découvre qu’il était guéri, il se retourne pour louer Dieu. A grands cris, il se prosterne aux pieds de Jésus. Il rend grâce. Être aux pieds de Jésus est la posture du disciple qui apprend du maître. Les neuf autres, qui étaient juifs ont démontré qu’il leur manque l’éducation. Que ce qui les empêche d’être reconnaissants leur ingrat comportement met à découvert qu’ils ont oublié Dieu. Seul un Samaritain, une personne officiellement hétérodoxe, hérétique, excommunié, méprisé, marginalisé, c’est lui qui est revenu pour remercier son bienfaiteur. C’est-à-dire que c’est cet étranger qui reconnait qu’en Jésus de Nazareth Mais « le doigt de Dieu » réalise les miracles. Ce qui signifie que « le royaume de Dieu » est au milieu de son peuple. (Luc 11, 20). Seul le samaritain est devenu membre de la communauté des disciples de Jésus. Il est membre du royaume du Père de Jésus. Il est héritier de l’alliance. Les autres ont été disqualifiés.

A partir de ce commentaire plus ou moins traditionnel, nous découvrons que, peut-être, nous en tant que chrétiens, nous sommes quelquefois trop convaincu que seuls « les initiés » seront sauvés. Que « la communauté » à laquelle nous appartenons soit meilleure. Nous pensons que « les catholiques » nous sommes dans le droit chemin. Nous affichons inconsciemment un sentiment qui croit que les membres de notre « la paroisse » sont ceux qui auraient les meilleurs comportements. Est-ce que vraiment il n’y a pas des gens bien meilleurs en dehors de nos cercles ? Dans des autres églises et même dans des autres religions n’y auraient-ils des personnes qui sont réellement des membres du royaume ? N’est-ce pas que même parmi ceux qui se disent "non-croyants", ne nous montrent-ils pas qu’ils réalisent des œuvres évangéliquement plausible plus que nous qui nous ventons d’être chrétiens ?

Dans l’Évangile d’aujourd’hui, nous découvrons donc que c’est précisément quelqu’un de l’extérieur qui est le seul à savoir reconnaître le don reçu de Dieu. Que un méprisé par ceux de l’intérieur donne une leçon magistrale à ceux qui sont apprécies, chéries et considérés. Ceux qui ne savaient pas être reconnaissants ne devrions-nous pas apprendre la leçon du Samaritain, reconnaissant ?
Une réflexion théologique et critique nous révèle qu’utiliser les récits bibliques des miracles de Jésus dans la liturgie et s’en servir comme plate-forme de réflexion chrétienne pour guider nos vies aujourd’hui s’avère problématique. Il existe un bon nombre de raisons pour expliquer cet état de chose. D’abord, parce que l’homme postmoderne est allergique au miracle. Aussi doutons-nous de leur véracité historique. De nombreux miracles attribués à Jésus visent à éduquer la foi des chrétiens. Tout ce qui a été écrit dans la Bible « fut pour notre instruction, afin que la constance et la consolation que donnent les Écritures nous procurent l’espérance. » (Rom 15, 4). Mais aussi et surtout parce que, même si l’on se limiterait aux miracles que les biblistes considèrent comme « historiques », les miracles eux-mêmes sont incompréhensibles pour la mentalité moderne. La pensé post-Newton n’admet pas la vision magique ou préscientifique. L’idée selon laquelle le monde avec un monde en étage supérieur et inferieur dérange. Par exemple, dans les écrits de saint Paul soit le premier, le deuxième ou, et surtout, le « troisième » ciel ont une fonction rhétorique. (2 Co 11, 30-12, 10). Dire que les dieux veillent et interviennent en modifiant l’ordre naturel des choses serait de pures fabulation ? Dans la mentalité moderne, les récits religieux de miracles ont quelque chose en commun avec la littérature de fiction.
Seulement symboliquement, au-delà de leur historicité et en dehors de la fiction, nous pouvons tirer un message utile de la guérison du général Naaman. En lisant toute l’histoire et, non pas seulement, en nous limitant à l’extrait sélectionné par la liturgie de ce dimanche, nous découvrons des leçons et des enseignements très important. Il en va de même pour le récit de la troisième lecture. La guérison des lépreux, hormis la valeur exemplaire de la gratitude du Samaritain, nous voyons mal Jésus qui accomplit de tels miracles. Ces guérisons extraordinaires l’éloignent même de la réalité de sa pleine et parfaite humanité.

Ce qui suggère des interrogations que d’aucuns se posent. N’y-a-t-il pas un besoin pour une autre sélection liturgique de textes bibliques qui serait contraire à l’ordre actuel des années liturgiques ? Ne voyons nous pas que la sélection actuelle qui est en vigueur depuis plus d’une cinquantaine d’années inspire le sentiment et un besoin urgent d’être actualisée ? Bien qu’elle soit de loin supérieure à la précédente ; aujourd’hui nous voyons que les temps ont changé et que nous changeons avec eux, pour ce faire ne devrions-nous choisir des textes qui parlent directement à nous et à nos contemporains ? Certes, il ne s’agira pas seulement de sélectionner de meilleurs textes bibliques, mais aussi d’élargir les critères de sélection. Aujourd’hui uniquement des textes bibliques répondent à nos interrogations ? Nous ne sentons pas la nécessité de dépasser l’uniformité obligatoire ? Est-ce qu’il est juste et nécessaire que toutes les communautés de l’Église, chaque dimanche et chaque jour, lisent les mêmes textes ? Ne pouvons-nous pas utiliser intelligemment la liturgie comme un véhicule de formation chrétienne ? N’avons-nous pas une disposition systématique qui nous permettrait d’entreprendre un itinéraire de formation théologique qui répond aux questions que nous nous posons ? Par exemple, ne devrions-nous pas ouvrir une possibilité qui nous conduirait à une liturgie expérimentale avec de nouveaux symboles et langages ? Que devons-nous faire pour que le très grand nombre des chrétiens, surtout les jeunes, aient une tolérance envers le symbolisme liturgique traditionnel ? Qu’est-ce que nous pouvons faire pour ouvrir la possibilité qui nous introduirait dans un enrichissement interreligieux ? Sommes-nous prêts à former une culture d’une spiritualité interculturelle ? Pouvons-nous adopter une liturgie avec plus de silence et qui regorge de moins de mots que trouvons en Asie ? Pouvons-nous inaugurer une célébration avec moins d’idées et plus de dynamisme que nous trouvons en Afrique ? Qu’est-ce que nous pouvons faire pour écarter les homélies lancinantes pour nous ouvrir à des narrations plus incarnées et populaires ? Voulons-nous laisser place à d’autres types de gestes dans nos célébrations eucharistiques ?

Si personne ne le dit, si personne ne donne voix au malaise perçu à cet égard, il semble que nous continuerons indéfiniment comme nous sommes. Le statuquo n’est pas divin. Nous, nous avons opté de le dire. Du moins, nous voulons le dire. D’ailleurs c’est l’orientation de l’Eglise que nous propose le Pape François. Dans son message au JMJ 2020, le saint Père n’invitait-il pas les jeunes à rêver, à risquer, à s’engager pour changer le monde ? Est-ce qu’il n’a pas dit « Je vous le répète dans ma langue maternelle : ‘hagan lìo’ ! (Ibid.). C’est-à-dire faites-vous entendre ! Mettez tout en bazar ! Dans la société et dans l’Église, les jeunes doivent se faire entendre. ?
L’attitude de Naaman et celle de Samaritain nous inspire que nous devons adopter une façon de contribuer à faire savoir aux responsables qu’il est temps de prendre la liberté de modifier les choses qu’il faut changer. La ou les conditions de la communauté le permettent, la réorganisation des textes liturgiques n’est en aucun cas un dogme de foi défini et proclamée solennellement par l’Église. L’ordonnance et le choix des textes liturgiques devraient être facultatifs et l’application aux communautés locales qui souhaitent en faire un usage pastoral intelligent. L’ordonnance liturgique est pour la communauté et non-pas la communauté pour l’ordonnance liturgique !

Se pourrait-il que le pape François ait déjà pensé qu’il n’y a aucune raison de faire traîner cette situation plus longtemps ? Peut-être est-il trop occupé par les problèmes cruciaux de la Curie romaine ? Mais alors il aurait-il des raisons pour perdre plus de temps ? Ne serait-il pas le temps qu’une bonne commission de pasteurs ouverts d’esprit, théologiquement bien-formés et pratiquement appliqués soit formée ? Cinquante ans après la réorganisation de la liturgie par Vatican II, n’est-il pas le temps d’un aggiornamento liturgique dans l’Eglise catholique ?
Nous ne disons pas qu’il faut changer ou d’éliminer quoi que ce soit ! Nous proposons que l’Eglise ouvre la porte vers des expériences responsables ! Qu’elle cherche des réponses qui correspondent à des groupes particuliers, à des communautés déterminée et à des individus particuliers. Manifestement l’Ordo liturgique biblico-liturgique suit un découpage qui vient de dépasser un demi-siècle.
Tout compte fait, les textes de ce dimanche interprétés traditionnellement et compris à partir d’une réflexion critique et théologiquement actualisée, dans leur ensemble nous aident a découvrir que les statistiques des remerciements que nous adressons aux autres chaque jour, soit en face à face, par téléphone, par email, par whatsApp, à travers SM, ces gratifications se font souvent de manière automatique. Sans même que nous nous en rendions compte, il semble que nous disons merci comme si disons un « ok ! », un « c’est-bien ! » un « c’est-super ! » Mais pour combien de fois ça nous prendra pour que nous arrivions à montrer réellement notre gratitude ?
Il y a une grande différence entre dire merci et montrer notre appréciation. Dire merci ne devrait pas être souvent une réponse automatique. Il ne s’agit pas d’une convention sociale. Parfois nous devrions vérifier s’il ne s’agit pas des expressions purement intéressées. Des paroles magiques qui visent à tirer plus d’intérêt de la personne à qui nous les disons. Des expressions qui en réalité cherchent la gratification de celui qui les prononce. Que pensons-nous quand nous disons « merci de votre attention ? » Qu’est-ce que nous exprimons lorsque nous disons « merci de faire vos achats dans nos magasins ? », « Merci de voyager avec notre compagnie ; nous espérons vous revoir à bord ? »

La véritable gratitude va bien au-delà de la prononciation de l’allocution merci. Un véritable remerciement consiste à montrer à l’autre personne que nous apprécions réellement ce qu’elle a fait pour nous ou ce qu’elle nous a donné. Ce merci arrive lorsque nous nous sentons sentimentalement toucher par un détail ou plus qu’un détail. Ce que nous sentons nous fait sentir le plaisir. Nous expérimentons un gout agréable qui nous révèle que ce que l’autre a fait pour nous surpasse le devoir. Le geste que nous avons reçu fait monter en nous quelque chose spécial.
Le cœur heureux, un grand sourire sur le visage, le bonheur dans le cœur, un sentiment agréable envahit tout le corps, la sérénité qui pacifie tout l’être. Les sensations qui submergent l’entendement et font monter des applaudissements, poussent à donner des embrassades, offrir des cadeaux, écrire les messages, fait couler des larmes… Les petits et grands détails de la vie qui deviennent en même temps un défi personnel. Un simple merci n’est pas donc suffisant...

Les attitudes de Naaman et du samaritain lépreux nous rappellent que le grand danger dans nos relations personnelles et interpersonnelles peut être l’habitude, la routine ou la négligence des petites choses. Ne pas donner l’importance à la vie. Savoir donner de la valeur à des détails pour pouvoir dire consciemment merci. La culture actuelle nous enseigne que nous sommes pleins de droits et que, par conséquent, les autres sont pleins d’obligations. Les autres doivent s’occuper de moi rapidement et bien, m’écouter attentivement, m’aider, répondre immédiatement à mes caprices...
Quand j’en ai besoin, quand je le demande, quand cela me convient, les autres doivent répondre... Parce que j’en ai besoin, il doive le faire. Je paie pour ça, j’ai droit. Je le mérite ceci et de-là, voir l’on me doit même plus. Nous sommes doués pour nous plaindre et protester en cherchant les faveurs. Parfois à juste titre, parfois à tort, nous réclamons. Mais il arrive rarement que quelqu’un nous dise, à nous ou à nos supérieurs : « ça m’a aidé ! », « ça me plait ! » « J’aime » « je réalise que c’était bien préparé... »
Puissions-nous entrer spontanément au grand François d’Assise, avec son chant de louange : « Loué sois-tu mon Seigneur par frère soleil, frère feu, sœur nuit, sœur mère terre... ». Cette reconnaissant à Dieu pour des choses naturelles et que quelquefois nous ne valorisons pas parce qu’il nous semble ordinaire. Tous les cadeaux concrets, quotidiens et fréquents que nous découvrons partout dans notre vie. Pour saint François, même la mort était considérée sa "sœur". Il avait un cœur reconnaissant.

Puissions-nous entrer dans la dynamique des paroles que nous disons dans chaque Eucharistie : « En vérité, il est juste et nécessaire, c’est notre devoir et notre salut de te remercier toujours et partout… ». Dans la même ligne le Pape François, au début d’une messe a dit : « Je remercie le Seigneur et je vous invite tous à avoir un cœur reconnaissant. Voyez la chance que nous avons d’être ici ensemble, de partager, d’élever nos esprits, nos âmes, nos regards, de rêver à nouveau ensemble, au nom de l’Évangile, au nom de ce Jésus qui vit et règne dans tous les cœurs qui l’écoutent ». Aussi à un autre moment, le pape a reconnu : « À mon âge, l’on commence à accepter que la vie nous présente la facture. L’on se rappelle que l’on a désigné les personnes qui l’aident à vivre. A grandir. A être chrétien. A devenir religieux... En reconnaissant le bien que tant de personnes m’ont fait, j’apprécie de plus en plus la joie. Je suis reconnaissant. Toujours et partout, je suis reconnaissant. »
Ce dimanche exerçons nous a remercier Dieu et le prochain comme nous aimerions que les autres nous remercie. Il ne suffit pas de dire je vous remercie pour tout… Merci tout simplement en général. Il serait mieux que nous reconnaissions tout ce qui nous fait plus de bien. Etre à mesure de rendre grâce par des surprises de la vie. Au moins en les reconnaissant que les gens nous aiment et nous valorisent. Leurs détails et leurs efforts devraient faire monter dans notre cœur un sentiment de reconnaissance. C’est ainsi que nous arriverons à construire des ponts et renforcer des relations. Un cœur reconnaissant nous rend tellement humains et divins.

PRIERE SCRIPTURAIRE

Dieu notre Père, l’Ineffable Mystère de Vie et de Plénitude, à Toi que chaque dimanche, nous approchons avec révérence et vénération, Toi qui se trouve au sein de nos communautés, Toi qui habite au plus profond de notre être, Toi règne au cœur de notre centre spirituel et Toi qui nourrit notre capacité de vivre et d’aimer : nous te rendons grâce et nous te bénissons !
Seigneur imprègne-nous de ton énergie, transforme-nous par ta présence et remplis nos désirs silencieux par ton enthousiasme. En Jésus tu nous as montré ta volonté d’enlever les barrières et les frontières qui nous séparent les uns des autres. Toutes les frontières doivent être abattues. Les « lépreux » de tous les temps méritent la guérison. Ils doivent être intégrés dans la communauté. Personne ne devrait être d’être exclu ou écarté.
Donne-nous une attitude ouverte et accueillante comme celle de Jésus de Nazareth. Accorde-nous la force et la volonté de détruire tous les effets de la marginalisation. Nous aimerions construire une cité humaine pour tous. Une communauté des enfants de Dieu. Une famille des frères et des sœurs qui reconnaissent les bienfaits que nous recevons les uns des autres.
Nous te le demandons par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.

Père jean Bosco NSENGIMANA MIHIGO, msscc.