Meditation, 16-12-2018

Commentaire et Méditation sur les lectures du Troisième dimanche de l’avent 2018

Père Jean Bosco Nsengimana Mihigo, msscc

Tous les textes de ce troisième dimanche de l’Avent nous parlent de la joie. En signe de joie, avant le Concile Vatican II, les ornements de ce dimanche étaient roses et l’introït ou chant d’entrée commençait par le mot de la Lettre de Saint Paul, apôtre, aux Philippiens « réjouissez-vous ». Pour cela, ce troisième dimanche est appelé « gaudete ». Le concept joie devrait avoir aujourd’hui un écho spécial.
En effet, le pontificat du Pape François a comme « leit motiv » et « l’axe pastoral ecclésial » qui visent à retrouvez la joie de l’Evangile (Evangelii Gaudium ». Il nous invite à la « la joie et l’allégresse », comme signe de notre appel à la sainteté (Gaudete et Exsultate). Il a entonnée une hymne à la joie comme une expression de notre prise de conscience que l’univers qui est notre “maison commune » mérite notre soin (Laudato si). Aussi a-t-il rappelé que l’enseignement catholique soit un art joyeux de transmettre et de chercher la vérité (Veritatis gaudium).
Soyons donc toujours dans la joie du Seigneur ! À l’instar de saint Paul, je le redis : soyons dans la joie. Cependant, cela ne veut pas dire que tout est en rose. De même que saint Paul rappelle aux Philippiens qu’ils ont eu à « souffrir pour le Christ » ; c’est-à-dire qu’ils ont été persécutés à cause de leur foi ; de même pour nous, la joie, même s’il s’agit d’un ordre pour les Chrétiens, ne va pas de soi. C’est un don et une tache. Effectivement, le fait d’être chrétien, nous configure au Christ. Certes, nous appartenons au Seigneur. Donc « dans notre vie comme dans notre mort, nous appartenons au Seigneur » (Rm, 14,8). C’est justement cet appartenance au Christ qui nous rempli de la joie. C’est la joie du Christ qui stimule et qui se veut parfaite. Jésus lui-même nous dit : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. » (Jn 15, 11). Dans la joie et l’agresse méditons les lectures de ce dimanche.
Par rapport au thème de la joie, les propos de Sophonie que nous avons entendu dans la première lecture (So 3, 14-18) peuvent paraitre bien audacieux et, même s’ils ne sont pas nouveaux, ils manifestent une maturité spirituelle et religieuse qui nous fait défaut quelque fois. Pour Israël, il a fallu des siècles de Révélation ; c’est-à-dire d’une pédagogie divine pour que l’on en arrive à ce stade là. Au début de l’Alliance entre Dieu et son peuple, de pareilles expressions auraient été trop ambiguës. N’est-ce pas que les autres peuples, eux aussi, concevaient facilement leurs dieux à l’image des hommes et de leurs histoires de famille. Tout au début de la Révélation, il requérait donc découvrir le Dieu tout-Autre que l’homme et entrer dans son Alliance. Pour ce faire, en vue de saisir l’enseignement de la première lecture, nous devons nous situé dans le contexte historique du prophète Sophonie.

Sophonie est un prophète du septième siècle av. J.-C. Il exerce sa mission à Jérusalem, sous le règne du roi Josias. Ce dernier est monté sur le trône en 640. Le message du prophète fut conservé dans un livre très court qui ne couvre à peine cinq pages ! Cependant, sa petitesse n’exclue pas sa densité. D’ailleurs, certaines de ses pages sont devenues célèbres. Sophonie appelle tout le monde à la conversion. Au dirigeants et au peuple, il rappelle l’urgence de recherchez le Seigneur, la justice et l’humilité. La recherche du Seigneur, la pratique de la justice et l’humilité sont trois attitudes qui, peut-être, mettraient tout le monde « à l’abri au jour de la colère du Seigneur ». Mais alors, pourquoi est-ce que la conversion devient une nécessité afin de s’assurer la protection de Dieu ?

D’abord parce que sous les règnes des deux rois antérieurs à la carrière de ce prophète tous les commandements de Dieu ont été bafoués comme à plaisir. Par exemple, sous le règne de Manassé (687-642) et durant la période que régner Amon (642-640)), les idolâtries, les violences, les fraudes, les mensonges, les injustices sociales, sans oublier l’orgueil des puissants et l’écrasement des pauvres furent monnaie courante. Pour ces raisons Sophonie ne se prive pas de dénoncer vigoureusement l’idolâtrie doublée d’hypocrisie. Il constate amèrement qu’ils existent « ceux qui se prosternent devant le Seigneur tout en jurant par leur idole Mélek » (1, 5). Aussi se lamente-t-il de voir qu’il y a ceux qui offrent au Seigneur les fruits de leur opprobre, c’est-à-dire ceux-là même « qui remplissent la maison de leur Seigneur du produit de la violence et de la fourberie. » (1, 9). Le début du troisième chapitre synthétise ce contexte historique en ses mots déconcertants : « Au milieu de Jérusalem, ses princes sont des lions rugissants ; ses juges, des loups de la steppe qui ne gardent rien pour le matin ; ses prophètes sont des vantards, des imposteurs ; ses prêtres profanent des choses saintes, ils ont violé la loi. » (3, 3 - 4).

Le texte d’aujourd’hui est prononcé dans une époque durant laquelle le pays était plongé dans la plus grande misère morale. Par dessus le marché, la menace de l’Assyrie se faisait sentir depuis longtemps. Sophonie, témoin des grands péchés d’Israël, utilise les deux langages habituels chez les prophètes : il profère la menace contre ceux qui font du mal et il encourage ceux qui essaient de rester fidèles. Il annonce le dur châtiment avec lequel Dieu purifierait son peuple. Il proclame également le rétablissement et la rédemption que Dieu va opérer. Les bénéficiaires de cela s’appellent le « reste ». C’est-à-dire les rescapés. Avec ce reste, Dieu créera un nouveau peuple.

À la fin de son livre, Sophonie aperçoit des lueurs de l’espoir. A ses yeux le roi Josias se présente comme porteur de ce flambeau lumineux. Dans la mesure où l’Assyrie semble relâcher son siège pour le moment, cela donne une occasion au prophète d’annoncer des jours meilleurs pour Jérusalem et d’inviter à la joie à travers d’une grande fête dans laquelle tout ne sera que danse, joie et félicité. Israël se trouve dans l’agresse parce que le Seigneur a annulé toutes ses dettes. La punition de ses péchés qui était matérialisée en captivité est purgée. Le Seigneur établit désormais son trône à Sion. Avec un Roi si puissant et un Père si miséricordieux, le reste n’a plus rien à craindre (V. 14-15). Par ailleurs, ce n’est plus Israël qui se réjouit dans le Seigneur ; c’est plutôt le Seigneur, lui-même, qui se réjouit avec son nouveau peuple dans une joie nuptiale. Dieu est comparé à mari qui se réjoui dans sa femme. En cela devrait consiste la fête de Noel que nous attendons. Il faudrait que le Seigneur exulte pour nous, pour son Eglises, pour son peuple. Permettons que Yahvé, notre Dieu, qui sera bientôt au milieu de nous à travers l’incarnation de l’Enfant de Nazareth ; prenne plaisir à nous. De même qu’il nous aime ; de même qu’il se réjouisse et soit en fête pour nous.

Le psaume responsorial (Is 12, 2-3. 4bcde. 5-6) entre en scène en entonnant le cantique de confiance et d’action de grâce. Or ce cantique d’Isaïe ne fait pas partie du psautier mais il est clair qu’il s’agit d’un chant liturgique. Non seulement ; cela prouve que tous les chants liturgiques n’ont pas été inclus dans le psautier, mais aussi et surtout, nous apprenons que nous ne devons pas étouffer la créativité en opposant les chants sacrés et non sacrés, les chants liturgiques et nos liturgiques. Or, cette étape dépassé par beaucoup dans le monde se voit aujourd’hui, au Rwanda, quelquefois avec trop de zèle et peu de discernement. Il faut nous ouvrir à la créativité. De faite, si malgré des situations sombres, la liturgie nous propose des paroles d’espérance, pourquoi restons-nous figés dans des théories qui quelquefois manquent des recherches adéquates ? Comme dans la première lecture, Isaïe annonce les prochains déclins de l’Assyrie et la libération de Juda. A l’instar de Moïse, le prophète exprime sa foi en un Dieu libérateur, un Dieu proche de son peuple et présent au milieu des siens. Nous, chrétiens d’aujourd’hui, sommes convaincus que Dieu est vraiment notre libérateur ? Est-ce que réellement nous chantons sans tergiversation en affirmant sans hésitation que notre unique force, c’est le seigneur ? Que signifie pour nous ses mots d’Isaïe : « reste calme, ne crains pas » (7,4) ?

A travers la deuxième lecture (Ph4, 4-7), Saint Paul nous enseigne comment doit être notre calme. Premièrement, c’est un temps de la prière ; de façon que supplication et action de grâce soient inséparablement liées. Deuxièmement, nous ne devons pas nous laisser inquiétés par les situations du moment. La sécurité n’est rien d’autre : « le Seigneur est proche ». Cette proximité nous dispose au troisièmement moment, notre libération ne tardera pas à venir.
Paul nous demande de remettre en place nos valeurs et de vérifier où sont nos priorités. Si, réellement, le royaume de Dieu est notre premier souci, nous porterons au monde le seul témoignage dont il ait besoin ; c’est-à-dire la sérénité. Avec le message vibrant du Pape François, cela signifierait savoir dire « non majestueux » quand il faut dire « non » et oser prononcer un « ouïe » avec fermeté et conviction quand nous devons dire « ouï » ! Par exemple, nous devons savoir dire « non à une économie de l’exclusion » (EG. 53-54 ! « Non à la nouvelle idolâtrie de l’argent » (EG 55-56 ! « Non à l’argent qui gouverne au lieu de servir » (EG 57-58) ! « Non à la disparité sociale qui engendre la violence » (EG 59-60) ! « Non à l’acédie égoïste » (EG 81-83) ! « Non au pessimisme stérile » (EG 84-86) « Non à la mondanité spirituelle » (EG 93-97) ! « Non à la guerre entre nous » (EG 98-101).

Ces « nons » ne nous transforment pas en nihilistes ; mais en personnes libres et capables de défendre nos valeurs. C’est une façon d’affirmer notre identité. Aves ces « négations » nous déclarons que jamais nous ne nous laisserons pas voler « l’enthousiasme missionnaire » (GE 80), « la joie de l’évangélisation » (GE 83) « l’espérance » (GE 86), « la communauté » (GE 92), « l’Évangile » (GE 97), « l’idéal de l’amour fraternel » (GE 101) et « la force missionnaire » (GE 109). Nous nous positionnons comme capables de nous affirmer et de dire « oui au défi d’une spiritualité missionnaire » (EG 78-80) ! « Oui aux relations nouvelles engendrées par Jésus Christ » (EG 87-92).

La joie des Chrétiens fondée dans une liberté personnelle est profonde et sereine. Néanmoins, cette sérénité et profondeur ne signifient pas absence magique de difficultés. Nous vivons certes dans un contexte morose, voire cruel ! Mais convaincu que rien ne peut nous ravir de la main de Dieu, respectons la consigne de saint Paul qui consiste à ne pas quitter le courant de la grâce et de l’amour dans lequel nous sommes plongés. Nous disons à Dieu nos difficultés et nous recevons de lui notre joie. Mais comment devons le faire ?

Avec l’évangile de ce jour (Lc 3,10-18), le passage de Luc nous parle du témoignage de Jean-Baptiste, le précurseur. Sa prédication impressionne les gens et crée en eux un désire. Ceux qui l’écoutaient ne restaient pas indifférents. Ils lui demandaient : "Que devons-nous faire ?" (V. 10). Ils ont compris le message et ils percevaient que le baptême de Jean exigeait un comportement, une attitude. La réponse est immédiate : partagez ce que vous avez : vêtements, nourriture, etc. (vv 10-11). Les auditeurs de Jean ne demandent pas quoi penser, quoi croire. D’emblée, nous constatons que l’Evangile veut que l’auditeur de la Parole de Dieu soit d’abord converti ; c’est-à-dire que son comportement soit conforme à la justice exigée par le Royaume. La bonne nouvelle implique une exigence claire : ceux qui disposent des avoirs ou des pouvoirs doivent les partager avec ceux qui n’ont rien ou qui sont plus faibles. Grâce à cette conversion, les pauvres et les nécessiteux sont égaux aux autres.

En réalité, les pauvres ne demandent rien. Ils sont dans « l’attente ». La question « que devons-nous faire ? » revient directement à ceux qui ont de l’argent, de la culture, du pouvoir, de l’avoir ; etc. L’exigence de base, selon la Bible consiste à partager. La conversion est un changement de comportement plutôt qu’un changement d’idées. C’est une transformation d’une situation ancienne pour entrer dans une situation nouvelle. Se convertir, c’est agir de manière évangélique. L’Évangile nous invite à une conversion qui nous dispose à un avenir meilleur. Cet avenir se déroule dans le Royaume. Ce n’est pas regarder et constate pour faire demi-tour après ! Notre avenir qui est Dieu et son règne constitue pour nous le but vers lequel nous cheminons résolument.
La tentation ou les excuses de ne pas nous convertir proviennent d’une recherche qui viserait à rester dans un questionnement permanent ou installation dans les commodités. Ainsi mainte fois, posons des questions pharisaïques sans écouter les vraies réponses. Selon le baptiste, pour se convertir, il faut « ventiler la paille » ; c’est-à-dire savoir discerner et choisir le meilleur parmi tout ce qui nous parait bon. Il est question de « cueillir le blé » ; autrement dit, entrer dans le dynamisme de savoir se concentrer sur l’essentiel et de ne pas rester dans les superficialités. Nous devons oser « brûler la paille » ; c’est-à-dire ne pas avoir peur de rejeter les choses inutiles et inutilisables. Nous devons nous libérer de tout ce qui nous immobilise et nous empêcher d’aller vers l’avent. Bref, en cela consiste « accueillir la Bonne Nouvelle » de la venue du Seigneur. Car par la conversion de nos attitudes, nous discernons ce qui nous rapproche de ce qui nous éloigne de l’arrivée du Seigneur. Nous nous disposons à « ce jour de joie », durant lequel Dieu discernera le blé de la paille dans notre comportement.

Ce dimanche, traditionnellement appelé, dimanche de la joie « gaudete » est une invitation. Non seulement il nous convoque à la joie mais aussi il nous convie au bonheur de la célébration prochaine de Noël. Il donne des motifs de garder espoir, de nous placer dans le processus de conversion et de partager avec nos frères l’eucharistie du Seigneur. Dans la Bible, la joie accompagne tout accomplissement des promesses de Dieu. Cette joie sera particulièrement profonde car « le Seigneur est proche » (Phil 4,5). Toute demande que faisons à Dieu doit être accompagnée par l’action de grâce (v. 6). La pratique de la justice et l’expérience de la joie nous mèneront à une paix authentique et durable. Elle assurera une vie intègre et fraternelle. Elle nous introduira dans le « Shalom » biblique et divin.

Que devrions-nous faire donc ? C’est la question que beaucoup d’entre nous peuvons poser aujourd’hui. La réponse de Jean-Baptiste n’est pas une théorie vide de sens. C’est par des gestes et des actions concrètes de justice, de respect, de solidarité et de cohérence chrétienne que nous démontrons notre volonté de paix, que nous construisons un tissu social plus digne des enfants de Dieu, que nous conquérons les profonds changements, que notre vie et nos besoins sociaux se transforment en un engagement. Mais pour cela, il est nécessaire de purifier le cœur, de nous laisser envahir par l’Esprit de Dieu, de nous libérer des liens d’égoïsme et d’une inquiétante quiétude, de ne pas craindre le changement et de nous disposer avec joie, espoir et enthousiasme à contribuer à la construction d’un avenir plus humaine. N’est-ce pas que c’est en cela que consiste la véritable expression du Royaume de Dieu que Jésus nous apporte avec la fête de Noël ? Mais alors, sommes-nous disposés à crier de joie en disant : Que ton Royaume, Seigneur, vienne chez nous ?

Prière scripturaire

Oh Dieu de tous les êtres que tu a crées : à l’approche des festivités de Noël, nous te demandons de faire fleurir le meilleur de notre vie, afin de pouvoir partager avec nos frères et sœurs autour de nous ta tendresse, ton amour et tout ce que tu nous as donné. Mère du Verbe de Kibeho :
« Toi qui, mue par l’Esprit,
as accueilli le Verbe de la vie
dans la profondeur de ta foi humble,
totalement abandonnée à l’Éternel,
aide-nous à dire notre “oui”
dans l’urgence, plus que jamais pressante,
de faire retentir la Bonne Nouvelle de Jésus.

Toi, remplie de la présence du Christ,
tu as porté la joie à Jean-Baptiste,
le faisant exulter dans le sein de sa mère.
Toi, tressaillant de joie,
tu as chanté les merveilles du Seigneur.
Toi, qui es restée ferme près de la Croix
avec une foi inébranlable
et as reçu la joyeuse consolation de la résurrection,
tu as réuni les disciples dans l’attente de l’Esprit
afin que naisse l’Église évangélisatrice.

Obtiens-nous maintenant une nouvelle ardeur de ressuscités
pour porter à tous l’Évangile de la vie
qui triomphe de la mort.
Donne-nous la sainte audace de chercher de nouvelles voies
pour que parvienne à tous
le don de la beauté qui ne se ternit pas.

Toi, Vierge de l’écoute et de la contemplation,
mère du bel amour, épouse des noces éternelles,
intercède pour l’Église, dont tu es l’icône très pure,
afin qu’elle ne s’enferme jamais et jamais se s’arrête
dans sa passion pour instaurer le Royaume.

Étoile de la nouvelle évangélisation,
aide-nous à rayonner par le témoignage de la communion,
du service, de la foi ardente et généreuse,
de la justice et de l’amour pour les pauvres,
pour que la joie de l’Évangile
parvienne jusqu’aux confins de la terre
et qu’aucune périphérie ne soit privée de sa lumière.

Mère de l’Évangile vivant,
source de joie pour les petits,
prie pour nous.
Amen. Alléluia ! »
(GE, 288)