Dimanche, 15-09-19

15. Dim – Vr – VINGT-QUATRIÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE - G, C, P dominicale ; 1ère lecture : Ex 32, 7-11.13 - 14 ; Ps 51(50), 3-4,12-13,17.19 ;2ème lecture : 1 Tm 1, 12 - 17 ; Évangile : Lc 15, 1-32. À Kibeho : Solennité [1]

Première lecture (Ex 32, 7-11.13-14)

Moïse était encore sur la montagne du Sinaï. Le Seigneur lui dit : « Va, descends, ton peuple s’est perverti, lui que tu as fait monter du pays d’Égypte. Ils n’auront pas mis longtemps à quitter le chemin que je leur avais prescrit ! Ils se sont fabriqué un veau en métal fondu. Ils se sont prosternés devant lui, ils lui ont offert des sacrifices en proclamant : ’Israël, voici tes dieux, qui t’ont fait monter du pays d’Égypte.’ » Le Seigneur dit encore à Moïse : « Je vois que ce peuple est un peuple à la tête dure. Maintenant, laisse-moi faire ; ma colère va s’enflammer contre eux et je vais les engloutir ! Mais, de toi, je ferai une grande nation. » Moïse apaisa le visage du Seigneur son Dieu en disant : « Pourquoi, Seigneur, ta colère s’enflammerait-elle contre ton peuple, que tu as fait sortir du pays d’Égypte par la vigueur de ton bras et la puissance de ta main ? Souviens-toi de tes serviteurs, Abraham, Isaac et Jacob, à qui tu as juré par toi-même : ’Je rendrai votre descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel, je donnerai à vos descendants tout ce pays que j’avais promis, et il sera pour toujours leur héritage.’ » Le Seigneur renonça au mal qu’il avait voulu faire à son peuple.

Psaume responsorial (Ps 50 (51), 3-4, 12-13, 17.19)

Seigneur Prend pitié
Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.

Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.

Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche publiera ta louange.
Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ;
tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé.

Deuxième lecture (1 Tm 1, 12-17)

Je suis plein de reconnaissance pour celui qui me donne la force, Jésus Christ notre Seigneur, car il m’a fait confiance en me chargeant du ministère, moi qui autrefois ne savais que blasphémer, persécuter, insulter. Mais le Christ m’a pardonné : ce que je faisais, c’était par ignorance, car je n’avais pas la foi ; mais la grâce de notre Seigneur a été encore plus forte, avec la foi et l’amour dans le Christ Jésus. Voici une parole sûre, et qui mérite d’être accueillie sans réserve : le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs ; et moi le premier, je suis pécheur, mais si le Christ Jésus m’a pardonné, c’est pour que je sois le premier en qui toute sa générosité se manifesterait ; je devais être le premier exemple de ceux qui croiraient en lui pour la vie éternelle. Honneur et gloire au roi des siècles, au Dieu unique, invisible et immortel, pour les siècles des siècles. Amen.

Evangile (Lc 15, 1-32)

Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! » Alors Jésus leur dit cette parabole : « Si l’un de vous a cent brebis et en perd une, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller chercher celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la retrouve ? Quand il l’a retrouvée, tout joyeux, il la prend sur ses épaules, et, de retour chez lui, il réunit ses amis et ses voisins ; il leur dit : ’Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé ma brebis, celle qui était perdue !’ « Je vous le dis : C’est ainsi qu’il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion. « Ou encore, si une femme a dix pièces d’argent et en perd une, ne va-t-elle pas allumer une lampe, balayer la maison, et chercher avec soin jusqu’à ce qu’elle la retrouve ? Quand elle l’a retrouvée, elle réunit ses amies et ses voisines et leur dit :’Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé la pièce d’argent que j’avais perdue !’ « De même, je vous le dis : Il y a de la joie chez les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit. » Jésus dit encore : « Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : ’Père, donne-moi la part d’héritage qui me revient.’ Et le père fit le partage de ses biens. Peu de jours après, le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait, et partit pour un pays lointain où il gaspilla sa fortune en menant une vie de désordre. Quand il eut tout dépensé, une grande famine survint dans cette région, et il commença à se trouver dans la misère. Il alla s’embaucher chez un homme du pays qui l’envoya dans ses champs garder les porcs. Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien. Alors il réfléchit : ’Tant d’ouvriers chez mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim !

Je vais retourner chez mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d’être appelé ton fils. Prends-moi comme l’un de tes ouvriers.’ Il partit donc pour aller chez son père. « Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de pitié ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. Le fils lui dit : ’Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d’être appelé ton fils...’ Mais le père dit à ses domestiques : ’Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller. Mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds. Allez chercher le veau gras, tuez-le ; mangeons et festoyons. Car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé.’ Et ils commencèrent la fête. « Le fils aîné était aux champs. A son retour, quand il fut près de la maison, il entendit la musique et les danses. Appelant un des domestiques, il demanda ce qui se passait. Celui-ci répondit : ’C’est ton frère qui est de retour. Et ton père a tué le veau gras, parce qu’il a vu revenir son fils en bonne santé.’ « Alors le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son père, qui était sorti, le suppliait. Mais il répliqua : ’Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais désobéi à tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais, quand ton fils que voilà est arrivé après avoir dépensé ton bien avec des filles, tu as fait tuer pour lui le veau gras !’ Le père répondit : ’Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Il fallait bien festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ! »

Méditation et commentaire

Les textes de ce vingt-quatrième dimanche nous convoquent à contempler en quoi consiste la justice de Dieu et nous convient à célébrer l’infinie miséricorde du Seigneur. A notre époque, une telle invitation n’est pas une chose anodine ni fortuite ! En effet, la mission ecclésiale qui, le dimanche passé, nous semblait être comme un phare brillant ; aux yeux de nos contemporains, il est partiellement éteint. De fait, une marée montante d’un matérialisme aveugle et d’un capitalisme sauvage nous envahit dans tous les domaines. Toutes les vieilles certitudes semblent devenir presque utopiques. Les politiques monétaires et l’individualisme sans concession prévalent en tous les niveaux. Bref, face à une société sécularisée en suivant une précipitation inconsciente, il semble que la barque de Pierre, c’est-à-dire l’Eglise qui, autrefois, fut considérée comme guide des communautés est en train de faire une naufrage. Enfoncées dans ce giron d’une génération postmoderne, les chrétiens qui sont encore fervents réagissent différemment !

D’aucuns ont tendance à se replier pour former un cercle clos qui serait constitué par ceux qui se disent pratiquants de la religion. Ces derniers se positionnent souvent dans une défensive contre les soient disant infidèles, renégats, athées, indifférents ou tout simplement ceux qui ont perdu la foi. Repliés sur eux-mêmes, ils s’acharnent à préserver ce qu’ils considèrent comme l’essentiel du christianisme à savoir la structure et les institutions. Etant donné qu’un grand nombre de chrétien a été perdu, c’est un complexe de la minorité qui s’effraye l’espace dans quelques milieux soi-disant fervents. L’on remarque avec douleur que beaucoup de chrétiens sont partis. Ils se sont laissé disparaître librement et l’on ne sait pas si consciemment ou inconsciemment. D’autres encore deviennent de plus en plus indifférents par rapport aux pratiques religieuses. Soit parce que nous leurs avons présenté nos adieux avec tristesse et résignation ; soit parce que nous constatons timidement qu’ils ne veulent pas revenir dans une bergerie dont l’image et l’ambiance générale ne les attirent plus. En somme, dans les circonstances actuelles, nous sommes comme des monnaies disparues ou dévaluées et nous marchons tous comme des brebis galeuses. Notre époque est donc caractérisée par des situations désastreusement désorientées. Mais alors, comment est-ce que le thème de la miséricorde que nous propose la liturgie scripturaire de ce jour nous aiderait à relever la tête et à nous réorienter pour retrouver notre astre ?

La première lecture (Ex 32, 7-11.13-14) commence par nous avertir que la douceur du pardon de Dieu ne doit pas se confondre à une nonchalance. Son discours peut même paraître choquant ! De fait, que le péché d’idolâtrie soit une abomination aux yeux de Dieu, est une chose ; mais que la Bible nous montre le Bon Dieu pris d’une violente colère, en est une autre. Par ailleurs, pour ne pas faire de l’acte pénitentiel une soumission servile devant la puissance écrasante d’un Dieu tyrannique, nous devons dépasser cette difficulté historique. Pour cela, il convient que nous lisions l’Ancien Testament en le prenant comme une invitation à entrer dans une lente pédagogie divine. Il y a 30 ou 40 siècles que ces textes sont écrits. Ils portent donc la marque d’une conception de Dieu qui ne pouvait pas échappée à l’anthropomorphisme. Ce regard s’est peu à peu affiné jusqu’à comprendre que la colère de Dieu est dirigée contre le péché et non pas contre l’homme pécheur. La promesse que Dieu a faite à Abraham de multiplier sa « postérité comme les étoiles du ciel » continue à être une réalité. Dieu promet de multiplier et non pas de diviser ou d’amoindrir. C’est ce même Dieu qui est prêt à pardonner à son peuple et tien toujours sa promesse. Même si son peuple l’a oublié lorsque Moïse monta sur la montagne pour le rencontrer, lui, l’Eternel tient toujours sa parole. Toutefois, pour que cette promesse devienne réalité, elle nécessite notre participation active qui se concrétise dans la recherche de la brebis galeuse et de la drachme perdue et qui se réjouisse parce qu’un frère disparu revient saint et sauf à la maison paternelle. Le problème reste celui d’ouvrir grandement les portes de notre communauté pour ce qui reviennent ! Saurons-nous capables de rassembler tous les enfants de Dieu dispersés sans perdre aucuns ?

Pour ce faire, le psaume responsorial (Ps 50 (51), 3-4, 12-13, 17.19) chante l’amour et la miséricorde de Dieu sous un ton de la gratuité et de la prodigalité. Ainsi, dans la deuxième lecture (1 Tm 1, 12-17), saint Paul qui a été rétabli dans la condition de fils par cette miséricorde peut-il s’exclame en nous interpellant : « Le Christ m’a pardonné ». Paul nous exhorte à une action de grâce en vers Dieu, parce que, dans sa compassion et son pardon, Dieu nous confie la tâche d’annoncer la bonne nouvelle de l’Evangile aux païens. Ces derniers ne sont pas partis. Par contre, ils n’ont jamais appartenu à la communauté chrétienne. C’est-à-dire que nous ne pouvons pas rester enfermés sur nous-mêmes. Nous devons plutôt sortir pour retrouver ceux qui ont été dans l’Eglise et qui ont déserté nos assemblées. Mais aussi nous avons une noble mission d’aller vers ceux qui n’ont jamais entendu le message du Seigneur pour leur inviter à la fête de toute la communauté. Par ailleurs, le simple fait d’être conscient de l’amour de Dieu pour nous-mêmes et pour les autres ne suffit pas pour que nous soyons tous libérés de nos esclavages. Non plus vouloir partager l’intimité de la maison du père ne rompt pas les chaînes de nos idolâtries. Autrement dit, seul le Christ nous sauve et c’est son amour qui est capable d’agir et de transformer nos vies médiocres pour les conduire à l’excellence. Mais alors comment est-ce que cela serait possible ?

Pour nous introduire dans ce dynamisme de transformation, l’Evangile de Luc (Lc 15, 1-32) nous présente trois paraboles qui décrivent le paradigme de cet amour miséricordieux du Seigneur. Nous avons d’abord la parabole de la brebis perdue (Lc 15, 3-7), ensuite celle de la femme qui a perdu une pièce d’argent (Lc 15, 8-10) et enfin, la parabole d’un père prodigue (Lc 15, 11-32). Dans ces trois épisodes l’invitation à un changement de tactique missionnaire et de la stratégie pastorale est lancée. Signalons que ces textes se situent dans un moment conflictuel et critique. L’évangéliste nous informe que « les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui » ! C’est dans ce contexte que Jésus formule ces paraboles paradigmatiques qui montrent ce que nous devons faire aujourd’hui dans l’Eglise. Est-ce que par hasard, nous ne remarquons pas que les « quatre-vingt-neuf » brebis ont déserté la bergerie en y laissant seulement une seule ? Ne voyons-nous pas que l’Eglise, contrairement à la femme de l’évangile, semble avoir perdu tous les neuf pièces d’argent pour ne conserver qu’une seule dans son porte-monnaie ? Sommes-nous conscients que le père miséricordieux« sort » à temps et à contre temps pour inviter ses fils à la table familiale ?

Certes, les temps sont mauvais. Beaucoup d’adversités nous entourent. Les vagues de la laïcité nous envahissent sous une grande intensité. Toutefois, nous ne pouvons pas nous contenter de garder ce que nous avons. Si nous agissons de la sorte nous deviendrons chaque fois de moins à moins nombreux dans nos assemblées. L’Eglise doit être sagement audacieuse. Les pasteurs doivent laisser sur place ceux qu’ils ont déjà pour aller ramener au bercail ceux qui s’éloignent. Ils doivent balayer à fond la maison pour trouver les membres cachaient dans les coins perdus. Tous dans la communauté ecclésiale, nous devons être à mesure de recevoir à bras ouverts nos frères et sœurs qui vont et viennent pour une raison ou pour une autre. Nous sommes obligés à faire une grande fête pour eux, quand ils reviennent. Néanmoins, dire et faire ne vont pas toujours ensemble. Ce qui arrive est que souvent, nous ne sommes pas prêts à faire ces sacrifices. Ne sommes-nous pas mal à l’aise quand il faut aller trouver ceux qui sont perdus ou quand nous devons balayer toute la maison pour trouver une seule monnaie perdus dans un lieu de nos chambres que nous ignorons ? Ne sommes-nous pas comme le fils aîné qui apparemment préfère l’absence de son frère et qui voit d’un mauvais œil leur père qui le reçoit ? Est-ce que nos communautés expérimentent beaucoup de joie lorsque les disparus reviennent ? Savons-nous les encourager à revenir ? Ne manquons-nous pas d’intérêt pour aller à leur recherche et à les accueillir lorsqu’ils seront de retour ?
Des interrogations précédentes nous aident à aborder la troisième parabole. Dans cette dernière, il y a des personnages qui devraient nous intéresser : un « homme qui avait deux fils ».C’est cet homme que nous considérons désormais comme un père prodigue ou miséricordieux. Il y a ensuite le « fils aîné ». C’est un activiste acharne qui pense tout gagne parce qu’il a fait beaucoup de chose. Nous avons le fils « le plus jeune ». Celui-ci est considéré par quelques prédicateurs et commentateurs comme le fils prodigue. Nous nous le prenons comme un capitaliste libéral qui veut un capital pour faire son business. Toutefois, nous allons méditer sur chacun de nos personnages l’un après l’autre. Puis ferons une lecture comparative entre eux. Enfin, nous considérerons tous les trois paraboles ensemble, pour en tirer la leçon que jésus veut nous donner aujourd’hui.

Commençons d’abord avec le fils cadet. Celui-ci aimerait vivre une relation juste et vivifiante avec son père, mais il reste centré sur lui-même. La relation avec son père l’intéresse, mais pour le profit personnel qu’il peut en tirer. Sa filiation est réduite à une demande de sa « part d’héritage ». Sans se soucier de l’effet qu’une telle demande allait provoquer chez son père ou à son frère, il ose s’adresse à son père en disant « père, donne-moi la part d’héritage qui me revient. ». Une telle demande dans la culture juive de cette époque est non seulement une insulte en vers son père ; elle est aussi un souhait de briser la famille. Pourtant, son père dépasse cette abomination. Il respecte la liberté de son fils. Il ne le retient pas au sein de la famille. Le voici donc qui part, au loin, à la recherche de ce qu’il avait chez lui. A ce stade de l’histoire, il croit encore au désir qui l’habite. Il est toujours orienté vers les biens matériels. Il cherche donc à les posséder. Il rêve une vie facile et glorieuse.
Cependant, ces rêves se transforment en cauchemar ! Car une famine survint dans le pays. Cette calamité montre qu’on ne peut pas fuir indéfiniment la vérité sans être rattrapé par la réalité. On ne peut jamais s’isoler car nous vivons dans un monde de relations. L’on ne peut jamais se satisfaire des biens matériels, une faim plus profonde se réveille un jour ou l’autre. La faim qu’il ressent n’a rien d’un repentir radical. Il cherche encore dans les biens matériels. Il regarde vers les caroubes que mangent les porcs. Or « il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien ».La faim qu’il ressent est donc bien une faim liée à la relation anthropologique et sociale. Car rien ne l’empêchait de se servir lui-même dans l’auge des porcs. Habituellement, en effet, les gardiens de porcs ne sont pas sous une étroite surveillance de leurs patrons. Sa souffrance vient du fait que personne n’avait le souci de lui. Personne ne l’aidait à rassasier sa faim. Il a coupé la relation familiale et voici que geste devient un coup boumerang !

Dans la solitude et le besoin, il revient sur sa propre histoire. Il se rappelle et fait mémoire de ce qui se passait chez son père. Tout seul, il pense à son père et à sa famille. Dans cette nostalgie, sa chance est là, la victoire est déjà à l’horizon. La relation n’est pas encore rétablie, mais déjà, par son imagination, il parle à son père. Son raisonnement est pourtant simple. L’évangéliste nous dit qu’« il réfléchit en lui-même ». Dans un laps de temps, il voit que « tant d’ouvriers chez son père ont du pain en abondance ». Par rapport à lui il trouve qu’il meurt « de faim » ! Il prend une décision ferme : « Je vais retourner chez mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d’être appelé ton fils. Prends-moi comme l’un de tes ouvriers. » Autrement dit, il revit et passe en revu ce qu’il a perdu en quittant la maison de son père. Les ouvriers chez mon père ont du pain car ils le méritent par leur travail ! Pourquoi pas moi ? N’ayant pas su trouver la relation juste qui lui aurait attiré l’attention de son père, il décide de renoncer à son statut de fils et de se présenter comme un ouvrier de plus. Il cherche à attirer l’amour de son père, tout au moins, désormais par ses services, il penser mériter cette faveur ! C’est donc ici que le bas blesse ! Si celui qui fut considéré durant longtemps comme prodigue est retrouvé, que devient le fils ainé ?

En rentrant de sa journée de travail, le fils aîné « entendit la musique et les danses ». C’est ainsi qu’il étale son fort interne. Il montre qu’il est un homme qui n’a jamais voulu être attentif à ses moindres désirs. Il a étouffé ses émotions ! Même les plus légitimes, il les a refoulées injustement. Il s’est construit un code de vie extrêmement rigide. Il est absolument conforme à un monde artificiel. Le pire est qu’il fait cela en croyant plaire à son père. Néanmoins, il est compréhensible que dans de telles conditions de vie, la colère grondait dans son cœur depuis longtemps. Il ne cherchait qu’une occasion pour s’exprimer et d’extérioriser son vécu. Dans cette soirée, la rencontre avec son père est trop brutale. Il explose et expose ce qui constitue son insatisfaction : « tu ne m’as jamais donné un chevreau pour festoyer avec mes amis ». Probablement, la question ne porte pas sur le chevreau ! Ce sont les amis qui lui font défaut. Il n’a jamais pris un chevreau parce qu’il n’avait pas des amis avec lesquels il pouvait festoyer. Certes, lui qui a passé « tant d’années » pris par le « service sans avoir jamais désobéi »aurait-il réellement quelques amis ?
En tant qu’esclave de son travail, il est fort possible qu’il a négligé toute relation amicale. Il en souffre et il le reproche maintenant à son père. Dans la prison qu’il s’est construite, lui aussi partage les mêmes fantasmes de son frère avant de revenir à la maison paternelle. De même que le cadet envie les ouvriers qui mangent à leur faim chez son père, de même, l’aîné est jaloux de voir le cadet faire la fête avec son père. Mais hélas, aucun des deux ne voit pas jusque-là l’amour gratuit d’un père bienveillant, miséricordieux et prodigue qui court à leur rencontre. Pour les deux, l’attitude du père est identique. Il sort de sa maison et va vers ces fils. Il court vers le cadet et il supplie l’aîné. Il veut les faire entrer dans sa joie. Mais en quoi ces deux fils se ressemblent ?

L’erreur qui se trouve chez les enfants de cette famille est, sans nul doute, une médiocrité méritocratique ! Autrement dit, chacun des deux frères, expérimente dans ce coin, ce que Viktor Franklin compare à « une malaise de l’âme », « une vacuité existentielle » ou« une frustration vitale ».Dans cet état pathologique, la vie devient fade. C’est ainsi que les individus ou une société toute entière se comportent en suicidaires. D’après Simone Weil, les gens se trouvent dans « une existence qui se donne comme objet d’échapper à la vie constituant en fin de compte une recherche de la mort ». C’est-à-dire que la majorité des personnes qui se trouvent dans cette situation se comportent en véritables destructeurs de la vie. Soyons donc claires en affirment qu’en ce qui concerne une telle « léthargie de l’âme », tous les deux fils sont semblables. D’une part, le fils aîné est un prisonnier d’un esclavage familial et, d’autre part le fils cadet est assoiffé égoïste d’un libertinage individualiste. Non seulement, le premier pense gagner l’amour de son père grâce à son travail ; mais aussi les pensé de son cœurs se révéleront contradictoires dans la soirée du retour de son frère. Celui-ci, quant à lui, en voulant orienter sa vie comme bon lui semble, il se trouve dans un désastre absolu. C’est-à-dire qu’il a dévié de sa bonne étoile. D’où les mots « il était perdu, et il est retrouvé ».
Il faut nous interroger maintenant sur le projet de Jésus qui raconte ces trois paraboles devant de graves accusations qu’il venait de recevoir : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! ». Pourquoi lire ensemble l’histoire de la brebis égarée, de la drachme perdue et celle d’un père prodigue ? Qu’y a-t-il de commun entre un mouton, une pièce de monnaie et les deux frères malheureux ? En quoi est-ce que le berger, la femme et l’homme qui avait deux fils se ressemblent ?

En vrai dire entre la brebis, la drachme et les deux frères, il n’y absolument rien de commun. La brebis et la monnaie sont sans intelligence. Elles n’ont pas donc péché. Les deux frères sont perdus ; ils sont loin de leur père. La pièce d’argent ne se perd pas elle-même, c’est la femme qui l’a perdu. Par conséquent, à travers ces paraboles, Jésus ne cherche pas à attirer l’attention sur le désir de conversion du pécheur, mais, bel et bien, sur le désir de Dieu de nous faire miséricorde. Dans les trois paraboles, Dieu laisse tout pour courir à la recherche de celui qui court à sa perte. Dieu a le désir de nous sauver. Il en a lui-même l’initiative. Il le veut et il le fait. Toutefois, dans le plan de Dieu pour restaurer la famille humaine divisée et brisée, nous avons besoin d’une immense capacité d’oubli et du pardon. Alors que les fils de cet homme ne soient pas prêts à pardonner, parce qu’ils n’ont pas appris à aimer, cela nous est demandé aujourd’hui. Celui qui aime pardonne toujours. Il accepte des excuses quand les autres les lui présentent. Tout compte fait, en prenant toutes nos lectures ensemble, nous constatons que le péché de l’idolâtrie que nous trouvons dans l’Exode rappelle fortement le périple des deux fils de la parabole qui ont une image imparfaite de leur père et qui doute de leur relation. Au cours d’un voyage douloureux et purificateur, comme le fut l’Exode pour le peuple saint, le visage de la Miséricorde est pleinement révélé au fils cadet. Puisse cette expérience devenir la nôtre aujourd’hui dans l’Eglise ! Quant au Fils ainé, nous ne savons pas s’il a accepté de participer à la fête ! Mais alors, allons-nous, nous entêter en boudant la fête à laquelle Dieu nous convie tous ce dimanche ?

Prière scripturaire

Père saint, nous confessons que nous sommes « pervertis » à l’instar d’un peuple idolâtre de l’Ancien Testament ! Nous reconnaissons également que nous ne sommes pas différents de ces deux fils malheureux que l’évangile d’aujourd’hui nous raconte. Convaincus qu’il est nécessaire que ta Miséricorde nous soit enfin révélée, rends-nous conscients de notre état d’une médiocrité qui réclame et exigent des récompenses méritoires. Délivre-nous de nous croire en bonne santé, alors que nous ne le sommes pas. Notre relation avec toi Dieu, notre père et avec nos frères et sœurs est profondément déformée. Aide-nous à sortir des complications de nos cœurs malades pour que nous nous tournions avec admiration et reconnaissance vers Jésus, lui qui est la source de notre salut. Nous te demandons la grâce singulière de te rendre gloire, toi qui nous a aimés alors que nous désertons la fête familiale à laquelle ton Fils continue de faire « bon accueil aux pécheurs et mange avec eux ». Même si nous méconnaissons ton vrai visage, nous t’acclamons toi qui veux nous recréer dans ta miséricorde infinie. Marie, mère de tous ceux qui proclament leur joie d’être rassemblés et rétablis dans l’Alliance d’une Église en fête, prie pour nous. Mère du Verbe de Kibeho, avec toi, nous exultons en Dieu, notre sauveur, en disant : « honneur et gloire au roi des siècles, au Dieu unique, invisible et immortel, pour les siècles des siècles. Amen ».

Père Jean Bosco Nsengimana MIHIGO